Transformation verte ou catastrophe financière ? Le parcours tumultueux de Volkswagen vers l'avenir

13:23 13 septembre 2024

Baisse des parts de marché sur tous les segments

Ces dernières années ont été le théâtre d’un déclin progressif de la dynamique de croissance des constructeurs automobiles traditionnels européens, au profit de voitures moins chères offrant souvent des solutions similaires. Le groupe Volkswagen, tout comme l’ensemble du secteur de la production automobile en Allemagne, fait face à des difficultés. Les problèmes pour les fabricants allemands ont commencé en Chine, où Volkswagen a commencé à perdre des parts de marché face aux concurrents chinois. Cela peut s’expliquer par le coût inférieur des véhicules chinois par rapport à ceux de la concurrence occidentale, tout en offrant une qualité et des solutions techniques similaires. Cela est possible grâce à des investissements massifs de l’État, une main-d'œuvre bon marché et des ressources abondantes en minéraux clés. Des soupçons d’espionnage industriel et de réutilisation du savoir-faire technologique émergent également, comme en témoigne la grande ressemblance entre le Xiaomi SU7 et la Porsche Taycan.

 

 

En conséquence, cela a entraîné une baisse de la part de marché du groupe Volkswagen sur son territoire principal, l’Europe. Dans la région d’Europe centrale et orientale, on observe une nette diminution de la compétitivité au profit des concurrents chinois. En Europe de l’Ouest, cette tendance n’est perceptible que depuis le premier trimestre 2024. Cela a conduit à une réaction rapide de l’Union européenne avec l’imposition de nouveaux droits de douane. Pour les différents fabricants, ces droits varient de 17,4 % à 37,6 %, s'ajoutant au taux tarifaire de 10 % déjà appliqué à tous les véhicules électriques importés de Chine.

Les principales sources de revenus du groupe

Le groupe Volkswagen a réalisé une croissance significative des ventes en 2023. Les plus grandes contributions proviennent des marques Volkswagen, Audi, Škoda et SEAT. L’Europe de l’Ouest, l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud ont été les principaux marchés de croissance pour la plupart des marques du groupe.


 

  • Volkswagen : 4,9 millions de véhicules vendus en 2023, bénéficiant de la popularité des modèles ID., Tiguan et T-Roc.
  • Audi : En tant que marque premium, elle a vendu 1,9 million de véhicules, avec des succès pour les modèles Q5, A3 et Q4 e-tron.
  • SEAT et CUPRA : Ensemble, elles ont vendu 519 000 véhicules, CUPRA enregistrant une croissance impressionnante de 50,9 %.
  • Škoda : 867 000 véhicules vendus, avec une augmentation de 18,5 %.
  • Porsche : La marque de luxe a réalisé des ventes de 320 000 véhicules.
  • Lamborghini : La marque ultra-premium a enregistré des ventes de 10 600 véhicules. Bentley a vendu 13 100 véhicules.
  • Volkswagen Véhicules utilitaires : 409 000 véhicules utilitaires légers vendus.
  • Groupe TRATON : 339 000 camions et bus vendus.

 

La Chine demeure le plus grand marché unique pour le groupe Volkswagen, avec 3,2 millions de véhicules livrés en 2023 et une part de marché de 14,5 %. Une croissance particulièrement impressionnante a été observée dans le segment des véhicules électriques, avec une augmentation de 23 % à 190 820 unités. L'Europe reste un marché clé pour la plupart des marques du groupe, avec des augmentations significatives des ventes, notamment en Europe de l'Ouest.

L'Amérique du Nord devient un marché de plus en plus important pour de nombreuses marques du groupe, avec une forte croissance pour Volkswagen Passenger Cars, Audi et Porsche. L'Amérique du Sud a également enregistré des augmentations de ventes significatives, notamment pour les marques Volkswagen Passenger Cars et Volkswagen Véhicules utilitaires.

La loi Volkswagen et une structure de gouvernance complexe

La structure de gouvernance de Volkswagen est unique dans le monde de l'entreprise et trouve ses racines dans l'histoire de la société. Un élément clé est la loi Volkswagen, établie en 1960, en réponse à la nécessité de protéger les intérêts des employés et des autorités locales après la transformation de l'entreprise en société anonyme.

Cette loi contient deux dispositions fondamentales pour la structure de gouvernance de l’entreprise. La première exige une majorité de plus de 80 % des voix des actionnaires pour des décisions nécessitant normalement une majorité de 75 %, ce qui confère au Land de Basse-Saxe, qui détient 20 % des droits de vote, un droit de veto effectif sur les questions clés. La seconde disposition impose l'accord des deux tiers des 20 membres du conseil de surveillance pour toute décision concernant la construction ou le déplacement d'usines de production. Ces règlements renforcent considérablement la position des employés et des autorités locales dans les processus décisionnels de l'entreprise, une situation unique par rapport à d'autres multinationales.

 

La structure de propriété de Volkswagen est également inhabituelle. L’entreprise dispose de deux types d’actions : des actions ordinaires avec droit de vote et des actions préférentielles sans droit de vote mais offrant un dividende légèrement supérieur. En 2023, les actions ordinaires offraient un dividende de 7,6 %, tandis que les actions préférentielles en offraient 8,1 %, soit respectivement 9 et 9,06 euros par action. Cette dualité des actions entraîne une situation où le contrôle de l’entreprise n’est pas directement proportionnel à la part de propriété.

Source: xStation

Cette structure a d'importantes répercussions sur la liquidité des actions Volkswagen. Les actions ordinaires (VOW en Allemagne, VWAGY aux États-Unis) sont moins liquides car environ 90 % d'entre elles sont détenues par trois investisseurs à long terme : la famille Porsche, le Qatar et l'État de Basse-Saxe. Les actions préférentielles (VOW3 en Allemagne, VWAPY aux États-Unis), plus liquides, sont donc plus accessibles. Cette différence de liquidité peut entraîner des écarts de prix significatifs entre les deux types d'actions, comme cela s'est déjà produit, attirant ainsi l'attention des investisseurs.

 

Le principal actionnaire est Porsche SE, contrôlé par les familles Porsche et Piëch, qui détient 31,9 % des actions, ce qui se traduit par un contrôle de 53,3 % des droits de vote. La Basse-Saxe détient 11,8 % des actions et 20 % des droits de vote, tandis que Qatar Investment Authority possède 10,5 % des actions et 17 % des droits de vote. Cette concentration de la propriété et des droits de vote entre les mains de quelques actionnaires clés a un impact considérable sur la gestion et les décisions stratégiques de l’entreprise.

Le conseil de surveillance de Volkswagen compte 20 membres, dont la moitié représente les employés et l’autre moitié les actionnaires. La Basse-Saxe a le droit de nommer deux membres du conseil, ce qui renforce encore sa position. Cette structure du conseil de surveillance est caractéristique du modèle allemand de gouvernance d'entreprise, connu sous le nom de "codétermination" (Mitbestimmung).

L’influence des représentants des salariés et de la Basse-Saxe sur la gestion de Volkswagen est significative et va au-delà des relations classiques employeur-employé dans d'autres entreprises. Depuis les années 1990, il existe des garanties excluant les licenciements forcés en Allemagne. Environ 44 % des plus de 650 000 employés de la société sont basés en Allemagne, bien que le marché intérieur ne représente que 13 % des ventes totales de véhicules.

Des temps difficiles pour les constructeurs automobiles allemands

Le groupe Volkswagen fait actuellement face à une série de défis importants qui mettent à l'épreuve son adaptabilité et sa compétitivité. Parmi les problèmes, figurent des difficultés de production. L'entreprise a construit un réseau mondial d’usines capables de produire jusqu’à 14 millions de véhicules par an, mais en 2023, elle n'en a produit que 9,24 millions. Ce déséquilibre pèse lourdement sur l'efficacité des coûts. Le directeur financier, Arno Antlitz, a souligné que l’entreprise a perdu environ 500 000 ventes de voitures, ce qui correspond à la production de deux usines. Cette situation oblige Volkswagen à envisager des mesures sans précédent, notamment la fermeture d’usines en Allemagne, ce qui n’a jamais été envisagé en 87 ans d’histoire.

 

La Chine, premier marché unique du groupe Volkswagen, pose également un défi croissant. Bien que l’entreprise y ait livré 3,2 millions de véhicules en 2023 (en hausse de 1,6 % par rapport à l'année précédente), sa part de marché est tombée à 14,5 %, contre 15,1 % l’année précédente. Cette tendance est particulièrement préoccupante face à la montée en puissance des fabricants locaux de véhicules électriques, qui gagnent rapidement des parts de marché.

L’adoption tardive des véhicules électriques en Europe représente un autre défi pour Volkswagen. Au premier trimestre 2024, les ventes de véhicules électriques du groupe sur le marché européen ont chuté de 24 % par rapport à l’année précédente, alors qu’en Chine, elles ont augmenté de 91 %. Les pertes financières et productives potentielles pour les constructeurs automobiles européens, dont Volkswagen, pourraient être bien plus importantes que prévu. Luca de Meo, PDG de Renault, a d’ailleurs averti que les constructeurs automobiles européens risquent des amendes pouvant atteindre 15 milliards d’euros s’ils ne respectent pas les normes d’émission de l’Union européenne. Pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2, les fabricants pourraient être contraints de réduire leur production de plus de 2,5 millions de véhicules. Cette éventuelle limitation de la production serait particulièrement notable dans le contexte de la surcapacité de production déjà mentionnée chez Volkswagen.

Un modèle de coûts déséquilibré face à la concurrence

La structure des coûts de Volkswagen, comparée à celle de ses concurrents, constitue également un défi de taille. L’entreprise emploie environ 44 % de ses 650 000 salariés en Allemagne, alors que le marché domestique ne représente que 13 % des ventes totales de véhicules. Ce déséquilibre pèse lourdement sur les coûts d’exploitation et limite la compétitivité de l’entreprise sur le marché mondial. Le directeur financier, Arno Antlitz, a souligné l’urgence d’apporter des changements, précisant que le groupe dispose d’« un an, peut-être deux » pour inverser la tendance.

Le fabricant allemand prépare le terrain pour des licenciements

Volkswagen a récemment mis fin à six accords de longue durée avec ses employés, dont un accord garantissant l’emploi jusqu’en 2029. L’un de ces accords protégeait environ 120 000 employés depuis 1994. Le groupe souhaite accroître sa compétitivité en planifiant une réduction des effectifs via des départs volontaires et des départs anticipés à la retraite. Certains packages de départ pourraient atteindre jusqu’à 450 000 euros. Les changements affectent également les salaires et le recrutement.

La résiliation de ces accords pourrait mener à des licenciements massifs. Volkswagen vise une réduction des coûts de 20 % et un raccourcissement du temps de développement des produits, qui passerait de 50 à 36 mois. Cela pourrait impliquer la fermeture d’usines en Allemagne. Les syndicats s’opposent à ces mesures et proposent des solutions alternatives, telles que la semaine de travail de quatre jours.

Malgré ces difficultés, Volkswagen investit dans 30 nouveaux modèles pour 2024, en mettant l’accent sur l’électrification. L’objectif est de produire des voitures électriques abordables (moins de 25 000 euros) d’ici 2025.

Les actions Volkswagen sont-elles correctement valorisées par le marché ?

Le prix des actions de Volkswagen se situe actuellement à un niveau historiquement bas, ce qui suscite chez certains investisseurs la question de savoir s’il s’agit d’un moment opportun pour investir.

 

La situation difficile de Volkswagen se reflète particulièrement dans son ratio cours/bénéfice à terme (P/E). Ce ratio est en baisse continue et atteint actuellement ses niveaux les plus bas depuis des années, dans un contexte de diminution du prix des actions et de la dynamique des revenus.

Le ratio P/E à terme de Toyota, bien qu'inférieur à ses valeurs historiques, reste nettement plus élevé que celui de Volkswagen et de BMW, ce qui suggère de meilleures perspectives de croissance et une plus grande résilience face aux défis du secteur. Le choix de se concentrer sur des véhicules hybrides de qualité supérieure, plutôt que de se lancer dans une concurrence directe sur les voitures électriques, séduit les investisseurs.

 

Toyota affiche une position de marché plus solide que celle de ses concurrents européens. Cela est dû à sa stratégie de se concentrer sur la production de voitures hybrides de meilleure qualité. Le cours de son action a clairement augmenté ces dernières années, témoignant de la confiance des investisseurs. Le ratio cours/bénéfice prévisionnel (P/E) de Toyota, bien qu'inférieur à ses valeurs historiques, reste nettement plus élevé que celui de Volkswagen et de BMW, ce qui suggère de meilleures perspectives de croissance et une plus grande résilience face aux défis de l'industrie. Le choix de se concentrer sur la production de véhicules hybrides de qualité supérieure, plutôt que d'essayer de concurrencer directement les voitures électriques, séduit les investisseurs.

Dans le cadre de sa stratégie de réduction des coûts, Volkswagen envisage également de diminuer, voire de supprimer son dividende. En 2023, les actions ordinaires offraient un rendement de 7,6 % et les actions préférentielles de 8,1 %. L’absence de dividende en 2015, due au scandale du Dieselgate, pourrait donner au groupe Volkswagen un argument pour réduire de nouveau le dividende, qui a coûté à l’entreprise 4,5 milliards d’euros en 2023.

 

Il existe également une grande disparité en matière de marges bénéficiaires au sein du groupe Volkswagen. Les véhicules particuliers de la marque VW, qui représentent près de 60 % du chiffre d’affaires, affichent une marge bénéficiaire de 4 %. Audi, la deuxième marque la plus importante du groupe, fait mieux avec une marge de plus de 10 % du chiffre d’affaires, un résultat proche de celui de BMW. Comme on peut le constater, les marques premium permettent une meilleure rentabilité. Porsche se distingue avec une marge excédant les 15 %, et Lamborghini atteint une marge de 27,2 %. Les marques premium et de luxe restent les plus rentables, tandis que les voitures particulières ordinaires servent principalement à couvrir les coûts d’exploitation, avec un bénéfice minimal.

La valorisation des marques les plus rentables permet de mieux comprendre la situation de l’ensemble du groupe. Actuellement, la société Dr Ing hc F Porsche AG est valorisée à 30 milliards d’euros, dont 75 % sont contrôlés par le groupe Volkswagen. Selon des calculs réalisés par Bloomberg Intelligence, Lamborghini, évaluée en tant qu’entité indépendante, valait 20 milliards d’euros en 2023. Récemment, la marque a conclu un partenariat avec le constructeur américain Rivian et prévoit d’investir un total de 5 milliards de dollars dans cette entreprise, dont la capitalisation actuelle est de 13,86 milliards de dollars. Volkswagen perçoit dans cette coopération des synergies importantes susceptibles d’améliorer la production de ses véhicules électriques.

La capitalisation totale du groupe Volkswagen s’élève à un peu moins de 50 milliards d’euros. Certains analystes estiment donc qu’en achetant des actions de Volkswagen, les investisseurs obtiennent également une participation dans les marques Porsche et Lamborghini, ainsi que les avantages potentiels du partenariat avec Rivian, sans coût supplémentaire. Toutefois, il convient de rappeler que la majorité des actions ordinaires de Volkswagen AG (31,9 % du capital social et 53,3 % des actions ordinaires) est détenue par une autre entité, Porsche SE, contrôlée par la famille Porsche-Piëch. Le Land de Basse-Saxe détient également un droit de veto, ce qui peut compliquer la gestion de l’entreprise.

Le chemin vers une rentabilité accrue face à la concurrence croissante

Le groupe Volkswagen, l’un des géants de l’industrie automobile allemande, fait face à de nombreux défis, notamment à une concurrence intense des constructeurs chinois. L’entreprise perd des parts de marché, non seulement en Chine, mais aussi dans ses marchés traditionnels tels que l’Europe. En réponse, Volkswagen a élaboré un plan de réduction des coûts qui, bien qu’il puisse sauver l’entreprise, inclut des mesures controversées, telles que des licenciements potentiels et la fermeture d’usines. Ce plan vise à résoudre les problèmes liés à une structure de coûts élevée et à une inefficacité de la production. Toutefois, le succès de cette stratégie reste incertain, notamment dans le contexte du secteur automobile chinois, où des subventions gouvernementales importantes permettent des prix beaucoup plus bas pour les véhicules électriques. Sans un soutien similaire en Europe et un assouplissement des réglementations, le plan de sauvetage de Volkswagen pourrait s’avérer impossible à mettre en œuvre. La structure de propriété complexe de l’entreprise, incluant la famille Porsche-Piëch et le Land de Basse-Saxe, complique davantage l’introduction de changements rapides. Malgré ces défis, Volkswagen investit intensivement dans l’électrification et dans de nouveaux modèles, en visant à produire des véhicules électriques abordables d’ici 2025, bien que la voie vers la rentabilité reste incertaine.

 

Maksymilian Kuch,

Analyste boursier chez XTB

 

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